Rumine ses pensées

Il était assez rare qu'Elizabeth sorte le week-end de l'école. Elle passait généralement son temps au chateau, à règler les affaires courantes que les cours ne lui laissent pas le temps de traiter durant la semaine. Exceptionnellement elle avait cependant décidé de faire un tour à Pré-au-lard, lieu de prédilection des élèves. Elle constata cependant que l'endroit était plus désert qu'à l'habitude. Un effet des activités récentes des mangemorts dans Londres ? Peut-être...

Elle entra dans le bar fameux de la tête de sanglier. Elle ne tarda pas alors à y repérer une silouhette qui ne lui était pas inconnue. Elle s'avança.

-Bonjour professeur Joad. A la recherche d'un moment de solitude ?

Tom sursauta légèrement lorsque Lizbeth lui parla. Perdu dans ses pensées, il n'avait pas fait attention à son arrivée. Il se leva machinalement lorsqu'il s'aperçut de sa présence, et répondit d'une voix morne:
-Je profitais d'un moment de répit pour réfléchir à certaines choses... Me permettez-vous de vous offrir un verre, Professeur Selew?
Lizbeth était la dernière personne qu'il souhaitait voir, mais il s'obligea à être courtois. De toute façon, il ne pourrait pas éviter éternellement de croiser la directrice-adjointe. Toujours debout, il attendait qu'elle prenne place, dans l'attitude respectueuse qui lui semblait convenir.

Elizabeth observa le professeur de botanique. Elle ne s'étonna pas qu'il paraisse si peu enthousiaste à sa vue. Leur dernière rencontre s'était plutôt mal finie au fond. Mais elle jugea que l'invitation polie qu'il venait de lui faire pouvait être une occasion intéressante de voir les choses d'une manière plus posée. Elle acquiesca donc.

-Merci professeur Joad. Je veux bien.

Elle prit place à la table et jeta un regard circulaire aux clients du bar.

Tom regarda Lizbeth. Elle ne semblait pas de trop mauvaise humeur... Il avait peut-être une chance de s'expliquer de sa maladresse et de lui faire comprendre qu'il voulait se racheter. Elle l'avait sévèrement réprimandé Allée des Embrumes, mais n'avait pas donné suite. Il ignorait s'il devait y voir un geste de clémence ou un délai destiné à donner encore plus de rigueur à un châtiment futur... L'occasion était bonne pour essayer d'éclaircir ce point.
-Que voulez-vous boire, Professeur? demanda Tom, toujours debout pour aller commander au bar.

-Je prendrai une brume d'Absinthe professeur Joad, merci.

Elle le regarda partir vers le bar pour passer la commande et elle s'adossa un peu à la chaise. Il y avait longtemps, très longtemps qu'elle n'était pas revenue dans cet endroit. Cela remontait à l'époque d'avant son départ loin de Londres. Mais au fond le lieu n'avait pas changé. Elizabeth laissa flotter ses pensées jusqu'au moment où Tom revint.

Elizabeth inclina légèrement la tête lorsque Tom lui rapporta le verre. Elle regarda la vapeur s'en échapper, puis prit le verre et le porta à ses lèvres pour boire la première gorgée, toujours amer de la boisson verte qu'elle préfèrait.

Elle regarda ensuite son collègue qui restait terriblement silencieux. Elle lui parla d'un ton dégagé.

-Vous venez souvent ici professeur Joad ?

Tom ne s'attendait pas à une entrée en la matière aussi bon enfant. Il reposa son verre et répondit :
-Euh... non, Professeur Selew... Presque jamais, en fait. Mais j'avais besoin de quitter le château aujourd'hui...
Il s'en voulut d'avoir dit ça. C'était avouer ses états d'âme bien facilement. Il eut un faible sourire et demanda timidement:
-Et vous, Professeur, vous avez réussi à vous échapper un moment de votre travail? On ne vous voit pas souvent hors de l'école...
Tom se tenait très droit, les mains sur la table, dans une attitude qui convenait mieux dans un bureau que dans un bar.

Elle le regarda tranquillement, avec même l'ombre d'un sourire sur les lèvres, avant de répondre à sa question.

-Je n'ai en effet que rarement l'occasion de ce genre de sortie. Il faut bien avouer aussi que je n'en ai que peu le goût au fond. Mais je dois bien reconnaître que cela a du bon, puisque j'ai pu trouver l'occasion de croiser l'un de mes collègues dans d'autres circonstances que celle d'un austère bureau...

Elle leva à nouveau le verre et but une gorgée d'absinthe avant d'ajouter quelques mots d'une voix très calme.

-Détendez-vous professeur Joad, nous ne sommes pas dans mon bureau. Nous ne sommes même pas au chateau.

Tom se rendit compte de sa position guindée, et sourit en se laissant aller contre la banquette. Il expliqua à mi-voix:
-C'est votre présence qui m'intimide, Professeur Selew...
Il trouvait préférable de dire la vérité. Il ne se sentait jamais très à l'aise avec Lizbeth, encore moins aujourd'hui... Prenant son courage à deux mains, il poursuivit:
-Mais je suis heureux de vous voir, Professeur... Je pense qu'une conversation avec vous me serait très profitable.
Il ne put cependant se résoudre à en dire davantage, et jeta un coup d'oeil rapide vers Lizbeth, pour voir l'expression de son visage.

Elizabeth eut à nouveau un mince sourire répondant autant à la remarque de Tom sur sa présence qu'à son regard qui guettait sa réaction.

-Très bien professeur Joad, alors l'endroit est parfait pour cete conversation. Je vous écoute.

Elle jeta un rapide regard autour d'eux pour vérifier si des oreilles indiscrètes ne traînaient pas, puis, constatant qu'ils pouvaient parler tranquillement, elle reporta son attention sur lui.

Tom baissa les yeux vers son verre.... Que dire? Dire qu'il avait peur de la réaction du Seigneur des ténèbres? Qu'il se sentait, plus que jamais, indigne de la Marque des Ténèbres? Qu'il en venait presque à regretter la tranquillité de la vie des Moldus?... Il ne pouvait pas dire des choses comme ça... Il marmonna:
-J'ai été au-dessous de tout, à Londres... minable...
Il ne dit rien d'autre. Lizbeth était présente à Londres, elle n'allait pas nier qu'il avait été nullissime. Il regarda vers la fenêtre, embarrassé.

Elizabeth le considéra un instant avant de répondre d'un ton toujours dégagé.

-J'ai deux questions professeur Joad. Que savez vous exactement de la puissance des Lycanthropes ? Et ensuite combien de fois vous êtes-vous retrouvé face à un adversaire de cette manière ?

Elle observa le liquide vert qui répandait sa brume par dela le bord du vert, avant de regarder à nouveau son interlocuteur.

Tom crut percevoir une nuance de reproche dans la question de Lizbeth. Il répondit, toujours très gêné:
-C'était... la première fois que je me trouvais face à un Lycanthrope... Ce que je sais d'eux, c'est ce qu'on m'a appris à Poudlard... ce qu'on lit dans les livres...
Il regarda Liz. Finalement, il n'était plus sûr que sa voix ait été teintée de reproche. De toute façon, elle avait raison... Machinalement, il passa la main sur son bras, à l'endoit de sa Marque des Ténèbres. Le Maître l'aurait-il accepté à son service s'il avait été vraiment nul, irrattrapable? Il devait bien avoir quelque chose d'utile au Maître....

Elizabeth perçut son geste en direction de la marque. Un geste qui au fond, à lui seul résumait les doutes de Tom. Elizabeth amena l'une de ses mains à son menton, comme pour réfléchir avant de lui répondre.

-Les livres décrivent les capacités, mais pas la force étonnante de ces créatures. Lorsqu'il a surgi brusquement, alors même que nous étions averties, il aurait suffi d'un geste de sa main pour nous déchiqueter. Il ne s'est arrêté que parce qu'il a perçu quelque chose de notre détermination. Il a fui pour une autre raison, plus étrange d'ailleurs. Mais sa force est immense, sa vitesse radicalement supérieure à la notre à moins de transplaner de manière très efficace. Enfin, il a une vision nocturne parfaite ce qui n'était le cas d'aucun d'entre nous. L'affronter et le terrasser n'aurait pas été une mince affaire croyez-moi. Nous aurions dû et nous aurions pu y parvenir, mais cela ne se serait de toute façon pas passé sans un réel danger. Maintenant, dites-moi, combien de fois avez-vous ainsi affronté un adversaire depuis que vous portez la marque des Ténèbres ?

Tom ne comprenait pas les raisons de cet interrogatoire. Sur la défensive, il répondit:
-Je suis un novice parmi les Mangemorts, Professeurs, je le sais... Je n'ai eu que rarement l'occasion de me battre pour mon Maître... mais je n'hésiterais pas à donner ma vie à son service, je vous l'assure!
Il avait parlé un peu plus fort, d'une voix ferme. Il avait un tel désir de servir le Seigneur des ténèbres... A vrai dire, c'était devenu l'essentiel de sa vie... Mais était-il capable de remplir cette ambition? Il but sa dernière gorgée de jus de cactus et détourna la tête, un peu gêné que Liz l'observe ainsi.

-Je ne mets pas votre engagement en cause professeur Joad. J'essaie simplement de vous expliquer que votre manque d'expérience joint à votre empressement, en soi louable, de règler la situation, sont les causes essentielles du fiasco de l'autre soir pour ce qui vous concerne. Ce ne sont pas des excuses : lorsque nous échouons dans une mission du Maître, nous n'en avons jamais. Mais ce sont des explications. Et il importe bien plus de comprendre les causes de ses échecs que de se morfondre dessus. Nous ne sommes utiles en rien au Seigneur des Ténèbres lorsque nous nous apitoyons.

Elizabeth continua à observer son collègue avant de reprendre une gorgée du liquide vert et amer.

-Il vous faut travailler votre sang-froid professeur Joad.

Tom regarda Lizbeth, surpris. Il s'était attendu à une avalanche de reproches, et elle lui donnait des conseils... d'excellents conseils, en plus. Il murmura:
-Oui, vous avez raison. Mon échec n'est pas excusable, mais je veillerai à ce que cela ne se reproduise pas. Je vais travailler suivant vos conseils.
Il frotta à nouveau sa Marque des Ténèbres et poursuivit:
-Je vous demande pardon de ce moment de faiblesse... Je vous suis reconnaissant de vos conseils. Je les mettrai en pratique, et j'espère me montrer digne de la confiance du Seigneur des Ténèbres.

-N'espérez pas professeur Joad. Soyez-le tout simplement.

Elizabeth estima que l'essentiel était dit. Le reste n'était pas de son ressort au fond. Elle ferait le rapport qui était nécessaire et il aurait les suites que le Seigneur des Ténèbres jugerait bon de lui donner. Voilà tout. Elle fit lentement tourner le liquide dans son verre, avec dans les yeux une lueur indéfinissable. Puis elle regarda à nouveau son collègue.

-Comment se passent vos cours professeur Joad. Certains élèves vous donnent-ils satisfaction ?

Tom se sentait un peu ragaillardi après cette conversation avec Liz. Il fit signe au barman de renouveler les consommations, et répondit:
-Certains élèves, oui, mais ils sont bien peu nombreux... La majorité se fiche éperdument des cours, des devoirs, de la magie noire, bref de tout. Ils sont là un peu comme des plantes vertes, parce qu'on les a posés là...
Il but une nouvelle gorgée de jus de cactus et poursuivit, sur le ton de la plaisanterie désabusée:
-Bien sûr, certains -et même certaines- s'intéressent à moi, avec quelque excès... J'espère que vous avez canalisé cet enthousiasme, Lizbeth?
Il se rendit compte que, pour la première fois, il venait de l'appeler paar son prénom. Peut-être se sentait-il moins intimidé en sa présence? peut-être la façon dont Liz l'avait écouté et guidé l'avait-il mis en confiance?

Elizabeth eut un léger sourire.

-Avouez que les plantes vertes ont au moins l'avantage d 'être décoratives alors que la majeure partie du temps, la vue de certains élèves et de leur attitude est loin de nous apporter calme et sérénité.

Elle adressa un signe de la tête à Tom en remerciement du nouveau verre qui venait d'arriver devant elle et reprit une gorgée de vapeur d'absinthe.

-L'enthousiasme débordant de certaines ? Oui, Tom, je pense que la chose est, disons, canalisée. L'élève en question, mise en face des premières exigences de ce qu'elle croyait être sa voie semble avoir pris conscience de quelques réalités. Et j'ai par ailleurs été assez claire en ce qui concerne les visites qu'elle pouvait s'autoriser à ses professeurs et dont la liste est maintenant très réduite puisqu'elle se limite à mon bureau.

Elizabeth, tournée vers l'entrée, vit s'avancer le professeur Loncourt qui s'installait au bar. Elle s'adressa à elle sans avoir à lever la voix puisque la table où ils étaient installés, quoique en retrait, n'était pas très éloignée du bar.

-Professeur Loncourt, quelle bonne surprise de vous voir ici. Souhaitez-vous vous joindre nous ?

Elle lui indiqua une place libre à leur table.

Tom répondit à Lizbeth, entre le sérieux et l'amusement:
-Très bien, je vous remercie d'avoir mis bon ordre à cet enthousiasme juvénile... J'espère qu'elle suivra vos dirctives. Et je ne vous cache pas que j'ai une nette préférence pour les plantes vertes!
Avisant Hazel, il lui sourit et se leva pour l'accueillir. Elle n'avait pas l'air très à l'aise dans ce bar mal famé.
-Professeur Loncourt, bonjour... Voulez-vous trinquer avec nous?